30 millions d'amis 2005 Catherine Levesque

Jean Chevallier, artiste de nature

Aquarelles ou pastels, Jean Chevallier a sa « patte » et son bestiaire.
Devenu incontournable dans l'édition naturaliste, ce dessinateur de
terrain saisit avec brio l'émotion de ses rencontres avec le monde
sauvage.

Ce sont quatre jeunes hermines blotties l'une contre l'autre, dans leur
nid. En réalité, ce ne sont que quelques traits, plus ou moins appuyés,
soutenus par quelques aplats de pastel. Impossible à surprendre sans
déranger ces sympathiques mustélidés, la scène sort tout droit de
l'imaginaire de Jean Chevallier, et illustre un article de la revue
naturaliste La Salamandre (1). L'hermine, justement, figure parmi les
meilleurs souvenirs naturalistes de cet artiste au regard aussi noir
que la barbe. Une vision fugitive, près d'un lac, en Vendée : « Le même
soir, j'ai vu la genette, j'ai entendu la loutre, puis une hermine a
surgi au bout de la passerelle. Le genre de scène à laquelle on assiste
tous les cinq ou dix ans ! Parfois, on a l'impression que toutes les
bêtes sont dehors, comme ce jour de forte chaleur, en Champagne. Un
gros orage s'annonçait, le troglodyte alarmait. J'ai observé une
famille de martres. puis une femelle de chat sauvage et ses quatre
chatons au beau milieu d'un chemin  forestier. »
Intarissable sur ses nombreux émois naturalistes, Jean Chevallier
évoque son premier gros-bec, son premier triton : « J'étais étonné que
ça existe ! » Dans ses archives, au moins 200 pages de dessins de
renards, autant de fouines. « C'est vrai que ces deux espèces m'ont
beaucoup occupé », reconnaît-il, amusé. Et pour cause, ce sont les deux
seuls carnivores accessibles en banlieue parisienne ! « J'ai surpris
mon premier renard à 12 ans, dans le parc de Sceaux (Hauts-de-Seine),
un matin de bonne heure. J'ai toujours eu un faible pour les
mammifères, mais ils sont moins accessibles que les oiseaux. Mes
parents m'encourageaient, mais on peut difficilement gambader en forêt
la nuit quand on est adolescent. »
Sa passion de la nature et du dessin, qu'il définit comme « une tare ou
un gène pas héréditaire », remonte donc à l'enfance. « On m'a offert
mon premier guide ornitho à 10 ans, j'ai adhéré à 14 ans à
l'Association parisienne d'ornithologie, puis j'ai fait des études de
biologie. Aucun de mes trois frère et sours ne sont naturalistes. Ma
fille de 20 ans est étudiante vétérinaire, et mes jumelles de 14 ans
adorent les chevaux, les animaux familiers. Pour ma part, je n'en ai
jamais eu. Je n'ai élevé que des tritons en aquarium ! »
A force d'arpenter le parc de Sceaux, crayon en poche et jumelles en
bandoulière, Jean Chevallier finira par en devenir le gardien, l'espace
d'une année : « Je voulais savoir si je pouvais être tous les jours
dehors, dans la nature. et je pouvais dessiner un peu ! ».
Farouchement autodidacte, ce solitaire n'a suivi que quelques cours
d'arts plastiques pour essayer des techniques nouvelles. « Enfant, je
voulais être ornithologue mais je n'aurais jamais pensé vivre un jour
de mes dessins ». Le miracle se produira pourtant, naturellement.
Ses expositions annuelles au Colloque français d'ornithologie le font
connaître et il y vend ses premières aquarelles. A 25 ans, il obtient
sa première commande du Muséum national d'histoire naturelle : des
fiches, en noir et blanc, représentant les Canidés, les Félidés, les
Lutrinés, les Mustélinés et les Bovinés du monde. « Ce fut une bonne
expérience : si on comprend bien une bestiole, on peut la reproduire
dans n'importe quelle posture. »
Tout en poursuivant ses dessins dans la nature et ses expositions
personnelles, Jean Chevallier illustre de nombreux ouvrages (voir
encadré) et collabore à plusieurs revues. Ses techniques de
prédilection : l'aquarelle, pour les dessins précis, et le pastel.
« L'aquarelle est bien pratique sur le terrain : un peu d'eau et une
petite palette avec une quinzaine de couleurs suffisent pour les
mélanges, alors qu'en pastel, je fais appel à plus de 150 couleurs
différentes. » Ses références ? Robert Hainard, bien sûr, Léo-Paul
Robert, l'école suédoise d'aquarelles animalières incarnée par Lars
Jonsson.ou encore les impressionnistes, Monet ou Sisley en particulier.
A la différence du dessinateur animalier, ce dessinateur naturaliste
aime restituer l'animal dans son environnement. « Je cherche avant tout
à retrouver l'émotion de l'instant. Si je pense que la scène ne va pas
durer, je la regarde et je la dessine mentalement, en prenant des
repères. Je la retranscris ensuite sur papier et je termine le paysage
dans mon atelier. Je ne la complète jamais en allant voir un guide. Si
j'ai la possibilité d'observer longtemps, je dessine en direct. Selon
le degré de finition, je mets entre un quart d'heure et deux heures
trente pour réaliser une image. »
Dans son appartement, près de Rambouillet, les croquis de ce formidable
bestiaire sont photocopiés et classés scrupuleusement par dossiers. « A
chaque commande, je ressors ainsi ma documentation de base. » Commence
alors une fastidieuse phase de crayonnés, sorte de brouillon que
l'illustrateur mûrit avant de reporter ses esquisses sur la planche.
S'ensuit le travail minutieux de la mise en couleurs, « avec les yeux
et le dos qui fatiguent, et toujours en musique ».
S'il s'agit d'une commande de terrain, Jean Chevallier cherche sur
place le point de vue qui l'inspire. Il affectionne les forêts de
feuillus en plaine, les étangs, les marais vendéens, le bord de mer et
les rivières, « où le flou de l'eau épure l'image ». « Lorsque je suis
en terrain connu, j'ai tendance à retourner dans les mêmes coins : même
s'il ne se passe rien, je n'ai pas l'impression de les voir vides grâce
à des réminiscences. »
Hormis la faune du Sahara, à laquelle il a consacré deux ouvrages, ce
virtuose du croquis s'attache essentiellement à la faune
européenne. « Le dessin contribue à la sensibilisation dans le sens où
il faut connaître une espèce pour la protéger. » Membre de plusieurs
associations naturalistes (2), cet artiste militant a parfois donné des
aquarelles pour financer l'acquisition de terrains ou de marais.
Jean Chevallier revient volontiers sur ses anecdotes de terrain. Comme
cet affût à l'ours, un soir de pleine lune, en Slovénie. Le plantigrade
n'est pas venu. Un autre jour, le loup a fait irruption dans le regard
vif du dessinateur, mais de dos. « S'il s'était retourné, l'image
aurait été prodigieuse. » Reste à l'imaginer.

(1) N° 155, avril-mai 2003. A paraître, dans le numéro de février-mars,
un miniguide sur les carnivores et trois doubles pages sur les
grenouilles et les crapauds illustrés par Jean Chevallier. Rens. : 05
61 727 657.
(2) Artists for Nature Foundation, Centre ornithologique de
l'Ile-de-France, Société nationale de protection de la nature, Société
française d'études et de protection des mammifères.

Encadré :
Bibliographie (non exhaustive)
Promenades naturalistes en France, éd. Nathan.
Voyages naturalistes en Ile-de-France, éd. Nathan.
Oiseaux d'Ile-de-France et de Paris, éd. Delachaux et Niestlé.
Collection Balades nature (plus de vingt titres : Corse ,Baie de Somme,
Provence.), éd. Dakota.
Collection Oiseaux du bord de mer (12 titres : Aigrette, Avocette,
Balbuzard, etc.), éd. Hesse.
Apprenez à observer les animaux des villes, éd. Tétras.

Catherine Levesque
Pigiste